Investissement : les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus

Investissement : les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus

En référence à l’essai à succès du psychothérapeute John Gray (1992), on a coutume de dire que les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus. En matière d’investissement, c’est difficilement niable. On peut même dire que les stéréotypes ont la vie dure.

mars 2023

4 min

En l’espace de quinze ans de carrière dans la banque et la finance, je peux facilement dire que 90 % de mes clients sont des hommes. Lorsqu’il est affaire d’argent, ce sont eux qui ont la main. Pourtant, ce serait parfois préférable que ce ne soit pas le cas. J’ai souvenir de ce couple nouvellement retraité dont la femme a reçu un très bel héritage à six chiffres. A ma grande surprise, c’était son mari, pourtant néophyte en placements financiers, qui avait décidé à sa place de l’allocation à faire. Il espérait pouvoir avoir un rendement annuel sur son épargne de 6-7 % sans prise de risque alors qu’elle avait dès le départ compris, certainement plus lucide que lui, que c’est impossible (ou alors, tout cela ressemble étrangement à une arnaque). Dans le cas présent, on pourra toujours rétorquer que c’est uniquement une question de génération, que les choses ont changé. Pas vraiment, malheureusement. Lorsqu’il est question d’argent, trop souvent, les femmes s’auto-censurent. A tort.

Des performances meilleures que les hommes

En moyenne, les femmes investissent des montants plus faibles que les hommes. Cela s’explique partiellement par les inégalités de revenus (à travail équivalent, une femme gagne en moyenne 400 euros de moins qu’un homme en France en 2021 selon l’INSEE) et également parce qu’elles se considèrent moins qualifiées pour prendre des décisions d’investissement (à tort). En revanche, lorsqu’elles le font, les performances sont au rendez-vous. Une littérature abondante le prouve.

L’objectif n’est pas de dresser une liste à la Prévert. Prenons appui sur une des études les plus récentes et qui fait référence en la matière. En 2021, Fidelity, l’une des plus importantes entreprises d’investissement outre-Atlantique, passe au crible les 5,2 millions de comptes d’investissement qu’elle possède. Difficile de faire un échantillon plus large. Le constat sur dix ans est sans appel : la performance moyenne annuelle des comptes détenus par des femmes est supérieure de 0,4 % par rapport aux comptes détenus par des hommes. Cela peut paraître peu au premier abord. Mais une telle différence annuelle peut induire un gain supplémentaire de plusieurs dizaines de milliers de dollars sur le long terme. Le différentiel de performance observé s’explique à la fois par des biais comportementaux (les femmes sont plus disciplinées, moins impulsives dans leurs placements et ont tendance à être plus ouvertes aux conseils externes que les hommes) et par une plus grande prudence dans le choix des supports d’investissement. Alors que les hommes sont plus enclins à faire des paris sur certains placements pensant deviner l’avenir (en optant pour des stratégies de stock picking qui consistent à opter pour des actions individuelles de sociétés cotées), les femmes vont avoir tendance à s’orienter vers des fonds qui affichent une performance solide et constante sur le long terme. Les fonds répliquent l’évolution des principaux indices boursiers. Ils ont deux avantages principaux : (1) ils sont très liquides, ce qui permet d’être toujours en mesure d’acheter ou de vendre (ce qui n’est pas toujours le cas si on se positionne sur des actions de société en direct) et (2) l’horizon d’investissement est large et diversifié, ce qui permet de réduire son risque à long terme. C’est, en général, judicieux.

Le choix revendiqué de l’investissement durable

Les thématiques d’investissement sont également un facteur différenciant majeur entre les hommes et les femmes. Pour les hommes, le critère de la performance sera décisif pour choisir entre tel ou tel investissement (performance passée bien-sûr, mais également performance future anticipée). C’est un critère important pour les femmes, mais pas nécessairement décisif. Elles souhaitent d’abord que leur argent soit utile, d’où leur inclinaison à privilégier des investissements qui peuvent avoir un impact positif sur l’environnement. A cet égard, l’enquête de la banque américaine JP Morgan intitulée Women and Investing : Planning for the Future, d’avril 2021, est très enrichissante. Il ressort que 72 % des Européennes considèrent que l’investissement durable est important, contre 67 % des hommes européens ; ce pourcentage dépasse les 80 % en Espagne, en Italie et en Suisse. Par ailleurs, 65 % des Européennes souhaitent particulièrement avoir un impact sur le réchauffement climatique.

En Finlande, ce pourcentage s’élève même à 73 %. L’investissement dans des entreprises respectueuses de l’environnement se présente donc comme une réponse logique pour beaucoup de femmes. Dans une étude de 2021, la banque BNY Mellon, qui est un concurrent de Fidelity, résume parfaitement l’enjeu d’une plus forte implication des femmes dans les décisions d’investissement: « l’investissement des femmes peut changer le monde […] car les femmes sont plus susceptibles d’investir dans des causes auxquelles elles croient, comme la protection de l’environnement ». Je n’aurais pas dit mieux.

Trois obstacles majeurs

Encore faut-il parvenir à favoriser une plus grande inclusion financière des femmes. Depuis plusieurs années, les acteurs financiers (banques, courtiers, gestionnaires de patrimoine etc.) ont compris qu’ils doivent aussi faire les efforts nécessaires pour s’adresser à la clientèle féminine. Ce n’est pas facile. Cela implique de surmonter trois obstacles principaux.

  • Les femmes se sentent moins légitimes que les hommes pour investir leur argent. Le rapport de BNY Mellon IM parle de « crise de l’engagement ». La réalité, c’est qu’elles le sont tout autant, voire plus, comme l’ont montré les études que nous avons citées.
  • Elles pensent qu’il faut un patrimoine important pour commencer à investir. C’est pourtant faux. On peut commencer à investir avec un capital de quelques milliers d’euros. L’assurance-vie peut être une bonne option. On peut y intégrer des fonds actions (respectueux de l’environnement) ou des SCPI (Sociétés Civiles de Placement Immobilier) si on souhaite avoir une exposition à l’immobilier. On peut également acheter directement des actions sur les marchés financiers grâce à son PEA (Plan d’épargne en actions) et ainsi bénéficier d’une exonération d’impôt sur les gains à partir de cinq ans de détention. Le secret, c’est qu’il faut placer régulièrement de l’argent, idéalement chaque mois, pour constituer ainsi un capital investi plus conséquent. Beaucoup d’intervenants financiers, en particulier les courtiers, permettent désormais d’effectuer à échéance régulière des virements automatiques, ce qui est très pratique.
  • Elles considèrent qu’investir sur les marchés boursiers comporte trop de risques. Si on cherche à faire du day-trading, ce qui consiste à faire de nombreux allers-retours chaque jour sur les marchés actions, c’est rarement une stratégie gagnante sur le long terme. En revanche, investir sur les marchés boursiers via quatre ou cinq lignes (c’est-à-dire en plaçant son argent sur quatre ou cinq entreprises qu’on connaît bien) et le faire sur plusieurs années est généralement une approche payante. Chez Saxo Bank, nous avions testé avant la Covid la mise en place de clubs d’investissement pour démocratiser l’investissement en bourse qui étaient uniquement réservés aux femmes et animés par des femmes. Sur le principe, je suis opposé aux réunions non mixtes. Mais, dans le cas présent, cela avait permis une plus grande liberté de parole, de créer du lien et un échange sans peur d’être jugé. Ce fut un vrai succès. C’est certainement une bonne idée à répliquer ailleurs.

Une meilleure inclusion financière des femmes est un enjeu essentiel, à la fois pour la société et pour l’environnement. Mais surtout à titre individuel. Reprendre en main son argent est synonyme de liberté. L’éducation financière, dès le plus jeune âge, est un chantier qu’il faut lancer (ce n’est pas encore le cas) et sans tabou (on a encore trop de mal à parler d’argent en France). Cela implique aussi de mettre davantage en avant des « role models » auxquels les femmes peuvent s’identifier. En finance, il y a suffisamment de femmes qui ont de magnifiques parcours. Je pense à Cathie Woods aux Etats-Unis qui est devenue la papesse de l’investissement dans les nouvelles technologies en quelques années ou encore Virginie Robert en France. Moins connue, elle a réussi à créer une magnifique société de gestion en France dans un milieu qui reste encore très masculin, pour ne pas dire macho. Ce sont de tels parcours qu’il faut mettre en avant pour susciter des vocations.

Cet article a été rédigé par Christopher Dembik. Christopher Dembik est économiste. Il est directeur de la recherche macroéconomique pour le Groupe Saxo Bank, en France et à l’étranger. Il est aussi membre du conseil d’administration de la société cotée Substrate Artificial Intelligence et conseiller financier de la start-up Oceans.ai (inspection et maintenance d’installations industrielles). Depuis 2022, il est maître de conférences à Sciences Po Paris et éditorialiste sur BFM Business. Il a reçu le Prix de meilleur prévisionniste pour la France en 2015 (Thomson Reuters) et pour l'Allemagne en 2019 (Refinitiv).

Helios est numéro 1 sur le site de MoralScore.org. Elle est également présentée comme une alternative éthique aux banques traditionnelles par les sites Bank.green et Change de banque, réalisés par des ONG comme Reclaim Finance et les Amis de la Terre.

Pour en savoir plus, consultez le top 6 des banques les plus éco-responsables.

Christopher Dembik

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