Traité sur la Charte de l’énergie : en sortir, et après ?

Traité sur la Charte de l’énergie : en sortir, et après ?

Le 21 octobre 2022, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé le retrait de la France du traité sur la Charte de l’énergie (TCE). C’était une revendication de longue date des défenseurs de l’environnement. C’est un premier pas positif. Mais cela n’éteint pas pour autant les voies de recours juridique des entreprises du secteur de l’énergie fossile si elles considèrent être lésées par certaines dispositions légales prises par les États (on pensera évidemment à un renforcement de la réglementation environnementale). Nous risquons, dans les années à venir, de devoir payer en monnaie sonnante et trébuchante les errements du passé. Essayons désormais de ne pas les reproduire.

novembre 2022

8 min

De quoi parle-t-on ?

C’est la fin d’une époque. Le TCE a été signé en 1994 et mis en vigueur en 1999. C’était deux ans après le troisième Sommet de la Terre qui s'est tenu cette fois-ci à Rio de Janeiro (Brésil).

A l’époque de la signature, l’URSS venait à peine de disparaître. La thèse de la fin de l’histoire du politologue américain Francis Fukuyama avait le vent en coupe. Elle stipulait l’avènement inéluctable du libéralisme dans un monde devenu unipolaire. Aussi attrayante soit-elle, elle n’a pas fait long feu.

Bien peu d’entreprises s'intéressent à la protection de l’environnement au milieu des années 1990. On ne parlait pas encore de critères ESG (en référence aux critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance).

On faisait référence au triple P pour Personnes, Planète, Profit. Le TCE s’inscrit dans ce contexte-là. Cet accord commercial et d’investissement vise à libéraliser les échanges en matières énergétiques et comprend plusieurs dispositions facilitant les investissements.

Plus de cinquante États sont signataires dont tous les membres de l’Union Européenne à l’exception de l’Italie (qui s’est retirée en 2016) et désormais de la France. L’intention initiale était louable. Il s’agissait d’intégrer l’ancien bloc soviétique aux marchés énergétiques mondiaux et de créer les conditions pour que les investisseurs étrangers décident de placer leurs capitaux à l’Est. Une nécessité à l’époque.

Le nœud du problème

Mais il comporte un écueil majeur : le mécanisme de règlement des différends.

Celui-ci a été instauré afin de régler les litiges opposant les États signataires et les investisseurs. Ce type de dispositif est propre aux traités commerciaux internationaux.

C’est devenu un point de frictions majeur ces dernières années (c’est un élément bloquant dans l’application effective du traité de libre-échange entre le Canada et l’Union Européenne, en particulier).

Il autorise un investisseur à soumettre tout type de différend soit à une juridiction nationale soit à un mécanisme d’arbitrage si l’État visé y a consenti. Ce sont les fameux tribunaux d’arbitrage.

Avant de passer devant les arbitres, une période de réflexion (environ six mois) est généralement prévue afin que l’investisseur et l’État visé engagent des négociations pour trouver une solution amiable. Mais dans la plupart des cas, cela n’aboutit pas.

Plusieurs institutions d’arbitrage peuvent alors intervenir.

Les plus connues en matière d’investissement sont le Centre International pour le règlement des différends relatifs aux investissements (basé à Washington) et la Chambre de commerce de Stockholm.

Les arbitres sont choisis parmi ces institutions (souvent en fonction de critères de nationalité et de qualification). Ils sont à une écrasante majorité des hommes. La plupart sont connus pour leurs positions soient pro-État soit pro-investisseur (au regard des jugements passés rendus). Leur sélection est donc une étape cruciale dans le processus et fait l’objet d’intenses discussions entre les parties.

En outre, la technicité de l’arbitrage (qui peut durer de plusieurs mois à plusieurs années) induit l’intervention de nombreux experts dont des avocats spécialisés ce qui implique un coût financier significatif (parfois de plusieurs millions d’euros).

Ces dernières années, le nombre d’arbitrage a explosé (seulement trois en moyenne par an entre 2001 et 2011 contre onze en moyenne entre 2012 et 2022). Beaucoup de différends ont porté sur la mise en place par les États de mesures de protection de l’environnement (qui ont pour effet immédiat d’alourdir les investissements).

Environ la moitié des procédures aboutit à une condamnation de l’État visé et donc à l’indemnisation des investisseurs, pour des montants souvent élevés dépassant un milliard d’euros. On aurait tendance à croire que ce sont les investisseurs du secteur de l’énergie fossile qui sont le plus tenté d’engager une procédure.

Pour le moment, ce n’est pas le cas. 60 % des demandes d’indemnisation concernent le secteur des énergies renouvelables contre environ 33 % pour le secteur des énergies fossiles. Par exemple, l’entreprise allemande Encavis AG a déposé une plainte en septembre 2022 contre la France à la suite de la modification des tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque en se basant sur les fondements du TCE.

Même si les procédures relatives aux énergies fossiles ne sont pas le plus grand nombre, le dispositif de règlement des différends du TCE constitue un frein évident à la mise en place de politiques écologiques en exposant les États à une addition salée.

Les Pays Bas en font l’expérience. Le pays fait l’objet d’une demande de dédommagement pour un montant de 1,4 milliard d’euros de la part d’un investisseur allemand à cause d’une loi interdisant la production d’électricité avec du charbon (loi qui est parfaitement sensée si on souhaite protéger l’environnement).

Une telle somme, qui risque de tomber dans l’escarcelle d’un investisseur, aurait pu être utilisée à de meilleures fins pour la transition énergétique. C’est le montant nécessaire pour installer un parc éolien en mer (c’est en l’occurrence le coût total du projet au large de Dunkerque qui doit être opérationnel en 2027).

Renégocier ou sortir ?

La Commission Européenne, qui est la garante des traités et a toujours adopté une position plus favorable que les États membres à l’égard des investisseurs internationaux, a entamé un processus de renégociation du TCE depuis 2018.

L’objectif est triple : inclure les principes de l’Accord de Paris sur le climat de 2015, ne plus protéger les investissements futurs dans les énergies fossiles et limiter la protection des investissements existants à dix ans (c’est déjà beaucoup).

La démarche est louable. Mais elle a peu de chances d’aboutir à court terme. Une renégociation commerciale prend du temps, parfois dix ans.

C’est pourquoi plusieurs États européens envisagent de suivre l’exemple de la France et de l’Italie en sortant du TCE. C’est le cas de la Pologne, des Pays-Bas et de l’Espagne.

Est-ce pour autant la bonne solution ? Pas nécessairement.

Le retrait de la France a été applaudi par les défenseurs de l’environnement mais il n’éteint pas la possibilité de poursuites de la part des investisseurs au titre du TCE. En droit international, c’est ce qu’on appelle la clause de survie. A compter du retrait effectif de la France du traité, les investissements réalisés avant sont protégés pendant une période de…vingt ans.  C’est-à-dire jusqu’en 2042 !

Cela fait peser une épée de Damoclès sur les finances publiques de tous les pays européens qui, dans les années à venir, n’auront pas d’autre choix que d’accroître la réglementation verte et de mettre en place des mesures de plus en plus coercitives pour réduire les émissions de gaz à effet de serre afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone fixé pour 2050. Cela fait craindre une recrudescence des différends opposant États et entreprises pétrolières et gazières entraînant une explosion des compensations financières.

Le retrait de la France n’est pas un coup de communication. C’était nécessaire. C’est un signal important. Les Européens ont commis l’erreur d’accepter le recours aux tribunaux arbitraux, mettant ainsi à disposition des entreprises de l’énergie un outil juridique bien trop puissant.

Entre rester dans le TCE en attendant une hypothétique renégociation et sortir tout en prenant le risque d’être exposé à la clause de survie, il n’y a pas de bonne solution. Nous n’aurons pas d’autre choix que de payer les erreurs du passé. En revanche, nous pouvons essayer d’éviter de les reproduire.

Auréolé de sa victoire, le président brésilien Lula a établi comme sa principale priorité économique la relance du traité de libre-échange entre le Mercosur et l’Union Européenne (bloqué en particulier par la France). Nous aurions tort de céder. Le Brésil souhaite donner des garanties que l’accord ne favorise pas une accélération de la déforestation de l’Amazonie.

Mais il y a des trous dans la raquette : en l’état actuel des négociations, les gigantesques savanes du Brésil (Cerrado) ne font l’objet d’aucune protection. En outre, un accord nous mettrait de nouveau à la merci des tribunaux d’arbitrage – un outil d’un autre temps. 

Cet article a été rédigé par Christopher Dembik. Christopher Dembik est économiste. Il est directeur de la recherche macroéconomique pour le Groupe Saxo Bank, en France et à l’étranger. Il est aussi membre du conseil d’administration de la société cotée Substrate Artificial Intelligence et conseiller financier de la start-up Oceans.ai(inspection et maintenance d’installations industrielles). Depuis 2022, il est maître de conférences à Sciences Po Paris et éditorialiste sur BFM Business. Il a reçu le Prix de meilleur prévisionniste pour la France en 2015 (Thomson Reuters) et pour l'Allemagne en 2019 (Refinitiv).

Christopher Dembik

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